Depuis des décennies, la question de l’obésité divise et stigmatise. En France, bien que les statistiques montrent une stabilisation du surpoids et de l’obésité entre 2006 et 2015, les discriminations (la grossophobie) envers les personnes en surpoids persistent. Entre invisibilisation médiatique, langage stigmatisant et attitudes méprisantes, les personnes de forte corpulence doivent faire face à de nombreuses formes d’injustice. Cet article explore ces discriminations et les mécanismes qui les entretiennent.
Les chiffres de l’obésité en France
D’après le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de l’agence nationale de santé publique, près de 49 % des adultes français étaient en surpoids et 17,2 % étaient obèses en 2015. Contrairement à d’autres pays comme les États-Unis, où l’obésité touche un tiers de la population, ces chiffres sont restés relativement stables en France. Cependant, la stabilisation des données ne reflète pas une évolution des mentalités.
Depuis 1980, une étude américaine a montré que le nombre de personnes obèses a doublé dans 73 pays. La France, bien que moins touchée par l’augmentation, n’est pas exempte de discriminations systémiques.
Ces chiffres mettent en évidence un enjeu de santé publique mais aussi une problématique sociale. Les personnes en surpoids ou obèses sont souvent jugées responsables de leur condition, ce qui accentue leur isolement et les expose à des discriminations multiples.
Langue et culture : des vecteurs de stigmatisation
La grossophobie s’insinue même dans la langue française. Pierre, étudiant et militant, souligne que des mots comme « gros » sont associés à des connotations négatives, tels que « grotesque » ou « grossier ». Il rappelle que l’expression « gros paresseux » est courante, mais qu’on entend rarement « maigre paresseux ». Ces nuances linguistiques renforcent des stéréotypes nuisibles.
De plus, le mot « grossophobie » lui-même peine à être reconnu. Bien qu’il ait été popularisé par Anne Zamberlan, fondatrice de l’association Allegro Fortissimo, ce terme n’est toujours pas inscrit dans les dictionnaires officiels, ce qui limite son usage courant.
Cette stigmatisation linguistique reflète une perception négative des personnes en surpoids dans la société. Les préjugés sont renforcés par les médias et les institutions, qui jouent un rôle essentiel dans la construction de ces représentations.
Discrimination systémique : des médias à l’emploi
Les discriminations envers les personnes obèses s’étendent au-delà de la langue. Dans les médias, les personnes en surpoids sont sous-représentées. Hormis quelques figures publiques, les « gros médiatiques » sont quasi inexistants. Les rares apparitions dans des émissions ou publicités renforcent souvent des clichés ou tournent à l’humiliation, comme en témoigne l’émission Zita, dans la peau d’une femme obèse diffusée en 2012.
Cette invisibilisation se manifeste aussi dans l’éducation et l’accès à l’emploi. Jean-François Amadieu, sociologue, a mené des expériences de « testing » qui prouvent que les personnes obèses subissent des discriminations lors des recrutements. Pourtant, la loi française, notamment l’article 225-1 du Code pénal, interdit toute distinction fondée sur l’apparence physique.
Ces discriminations systémiques limitent les opportunités des personnes en surpoids et renforcent leur exclusion. Les médias ont un rôle clé à jouer dans la sensibilisation et la lutte contre ces préjugés.
Une pathologisation dangereuse
Dans la société française, l’obésité est souvent considérée comme une « maladie de la volonté ». Cette idée, popularisée par des discours culpabilisants, entretient l’idée que les personnes obèses sont responsables de leur situation. Gabrielle Deydier, auteure de On ne naît pas grosse, dénonce cette pathologisation et souligne que les corps obèses sont régulièrement mépréséntés.
Les médecins eux-mêmes participent à cette culpabilisation. Baptiste Beaulieu, médecin et auteur, explique que certains praticiens voient l’obésité uniquement comme un échec personnel. Il préconise une approche empathique, invitant les soignants à écouter leurs patients sans jugement.
Cette approche est cruciale pour rétablir la confiance entre soignants et patients. Sensibiliser les étudiants en médecine aux enjeux de la grossophobie pourrait également permettre de changer les mentalités à long terme.
Des initiatives à élargir
Si les États-Unis ont initié des mouvements comme la « fat acceptance », la France peine à suivre. Le Michigan reste le seul État américain à reconnaître l’obésité comme facteur discriminant. En France, les associations comme Allegro Fortissimo ou Gras Politique manquent de moyens pour sensibiliser efficacement.
Pourtant, une prise de conscience collective est nécessaire. Des initiatives comme les « fat studies » ou les mouvements militants sur les réseaux sociaux peuvent aider à faire avancer la cause, à condition de réunir davantage de soutiens.
En outre, des campagnes de sensibilisation dans les médias pourraient contribuer à changer les perceptions. Montrer des représentations positives de personnes en surpoids permettrait de briser les stéréotypes.
Le rôle clé de l’éducation
L’éducation joue un rôle essentiel pour changer les mentalités. Introduire des discussions sur l’acceptation des différences dans les programmes scolaires pourrait contribuer à réduire la stigmatisation. Jean-François Poulain, sociologue, souligne que la précarité augmente le risque d’obésité, rappelant que les discriminations touchent davantage les populations défavorisées.
Sensibiliser les professionnels de santé est également crucial. En formant les futurs médecins à une prise en charge bienveillante, on peut espérer une amélioration des relations soignant-soigné.
Les établissements scolaires, quant à eux, devraient encourager des initiatives visant à promouvoir la diversité corporelle. Cela pourrait inclure des conférences, des ateliers ou des programmes axés sur l’estime de soi.
Vers une société plus inclusive
Malgré une reconnaissance légale partielle, la grossophobie reste ancrée dans la société française. Que ce soit dans le langage, les médias ou les institutions, les personnes obèses font face à une invisibilisation et à des préjugés.
Pour changer la donne, il est urgent de sensibiliser, d’éduquer et de donner une voix à ceux qui subissent ces discriminations. L’inclusivité est un combat collectif, et chaque pas compte. La lutte contre la grossophobie ne peut être effective qu’avec une mobilisation globale, alliant citoyens, institutions et médias.
Une mobilisation urgente
Il est temps que la société française reconnaisse la grossophobie comme un véritable problème sociétal. Les lois contre les discriminations existent, mais leur application reste insuffisante. En valorisant des représentations diversifiées et en adoptant une approche bienveillante, nous pouvons espérer un avenir plus inclusif.
La lutte contre la grossophobie est l’affaire de tous. En sensibilisant aux enjeux et en promouvant une société plus tolérante, nous contribuerons à construire un monde où chacun pourra vivre pleinement, sans craindre d’être jugé pour son apparence.
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