Le yoga est souvent présenté comme une pratique physique et spirituelle réservée à une élite aux corps élancés, souples et parfaitement alignés dans des postures complexes. Pourtant, cette vision limitée n’a rien d’une vérité universelle. Jessamyn Stanley, professeure de yoga, autrice et entrepreneuse américaine, défie ces stéréotypes en rendant le yoga accessible à toutes les morphologies. Son approche inclusive et body positive montre que chacun peut profiter de cette discipline, indépendamment de sa silhouette ou de ses capacités physiques. Son message : le yoga n’a pas à être confiné dans un cadre esthétiquement normé, il peut – et doit – être pratiqué par tous ceux qui souhaitent se reconnecter à eux-mêmes.
Un yoga trop souvent stéréotypé
Depuis plusieurs décennies, les médias et les réseaux sociaux véhiculent une image idéalisée du yoga : des corps minces, des postures acrobatiques et un univers épuré. Si ces représentations ont contribué à la popularisation de la discipline, elles ont aussi créé une forme d’exclusion. Beaucoup se sont sentis intimidés ou mal à l’aise, persuadés de ne pas avoir “le corps qu’il faut” pour dérouler un tapis de yoga.
Ce phénomène est renforcé par la prédominance d’images de yogis qui correspondent à des standards esthétiques précis. Des studios ultra tendance, souvent fréquentés par des personnes déjà familières avec l’activité physique, alimentent ce même imaginaire, laissant de côté la diversité corporelle et culturelle. Le yoga, pourtant destiné à cultiver l’équilibre et la paix intérieure, s’est parfois vu réduit à un exercice de performance et de perfection, éloigné de l’idée même d’inclusion.
C’est précisément ce constat qui a poussé Jessamyn Stanley à prendre la parole et à agir. Sa propre expérience lui a fait comprendre combien la pratique pouvait devenir un espace de jugement, alors qu’elle devrait être synonyme d’ouverture, de bienveillance et de reconnexion à soi.
Le parcours personnel de Jessamyn Stanley
Originaire de Caroline du Nord, Jessamyn Stanley est arrivée au yoga dans une période de dépression, à la recherche d’un moyen de retrouver un équilibre mental et physique. Ce qui ne devait être qu’un simple essai s’est rapidement transformé en véritable passion. Mais son chemin vers un apprentissage serein a été semé d’obstacles : le monde du yoga qu’elle découvre alors n’est pas pensé pour des corps comme le sien. Elle remarque que les cours qu’elle suit sont peuplés de silhouettes minces, souvent blanches, et que les professeurs n’abordent pas la question de l’adaptation des postures aux différentes morphologies.
Au lieu de se laisser freiner par ces remarques parfois blessantes et ce sentiment d’illégitimité, Jessamyn décide de renverser la tendance. Elle comprend que ses difficultés ne proviennent pas de son propre corps mais bien d’une vision restrictive du yoga. Ce déclic la pousse à se former, à explorer en profondeur la philosophie de cette pratique plusieurs fois millénaire et à la réinventer selon les principes d’inclusion et de body positive.
Une approche inclusive et body positive
Plutôt que de s’intéresser à la performance, Jessamyn place le ressenti et l’acceptation de soi au cœur du yoga. Dans une société qui valorise encore trop souvent l’apparence et la conformité, elle milite pour que chaque personne puisse se sentir légitime d’occuper l’espace d’un studio, de bouger selon ses capacités et de respirer à son rythme.
Le principe du body positive, essentiel à ses yeux, invite à aimer et respecter son corps quelles que soient sa taille, sa forme ou ses aptitudes. En parallèle, l’approche inclusive qu’elle promeut encourage à repenser le yoga comme un outil de bien-être psychique et physique ouvert à tous : personnes rondes, grosses, racisées, LGBTQ+, seniors, sportifs ou non-sportifs.
En pratiquant un yoga qui accueille chaque morphologie, Jessamyn libère la discipline de la pression esthétique et compétitive. Les postures (asanas) se transforment alors en invitations : on peut adapter un mouvement, intégrer des accessoires (briques, coussins, sangles) ou réduire l’intensité si nécessaire. Au centre de tout cela, une même question : « Comment est-ce que je me sens dans mon corps, ici et maintenant ? »
The Underbelly : une plateforme pour tous les corps
Dans le but de faire rayonner cette philosophie, Jessamyn Stanley cofonde The Underbelly, une plateforme de yoga en ligne. Dès la page d’accueil, la différence est palpable : pas de clichés de studios aseptisés ou de postures irréalisables pour la plupart d’entre nous. À la place, des cours variés, filmés dans des environnements chaleureux, et surtout adaptés à des rythmes et des capacités très diverses.
Avec plus de 200 sessions de yoga et de méditation, The Underbelly couvre un large spectre de besoins. Certaines séquences privilégient la douceur et la relaxation, d’autres sont plus dynamiques, mais toutes intègrent la possibilité de simplifier ou de modifier les postures. L’important, pour Jessamyn, n’est pas la prouesse physique, mais la sincérité de la démarche. Chacun est invité à écouter son propre corps et à avancer sans se comparer à un modèle standardisé.
Cet espace virtuel, qu’elle décrit comme un “sanctuaire de liberté”, se veut exempt de jugement. La diversité corporelle y est célébrée, et non seulement tolérée. C’est une bulle où l’estime de soi peut grandir et où la confiance dans ses capacités physiques s’épanouit, à l’opposé des injonctions perfectionnistes qui règnent souvent dans le milieu du fitness.
Une voix pour la diversité et l’inclusion
Au fil des années, Jessamyn Stanley est devenue bien plus qu’une simple professeure de yoga. Elle a su utiliser sa notoriété et sa présence sur les réseaux sociaux pour soulever des questions de fond. Dans des publications où elle apparaît souvent en train de pratiquer des postures, elle évoque la grossophobie, le racisme, l’homophobie et le manque d’inclusivité dans le bien-être.
Son livre « Yoke: My Yoga of Self-Acceptance » est emblématique de cette démarche. Elle y relate son chemin personnel vers l’acceptation, tout en soulignant l’importance de déconstruire les systèmes oppressifs qui pèsent sur les individus. Selon elle, le yoga peut devenir un véritable levier de guérison collective, en permettant à chacun de se reconnecter à la fois à son corps et à la communauté humaine.
Cet engagement tranche avec l’image parfois aseptisée et élitiste du monde du bien-être. Jessamyn y apporte une authenticité qui dérange certains, mais qui suscite l’enthousiasme de beaucoup d’autres. Elle rappelle que la spiritualité et la recherche d’harmonie ne sont pas l’apanage d’une élite mince et blanche, mais bien un droit universel.
Entre ressenti et apparence : une révolution du regard
Si Jessamyn bouscule autant de préjugés, c’est parce qu’elle invite à se libérer du regard extérieur. Ses cours de yoga s’attachent à l’idée du ressenti : au lieu de vérifier dans un miroir à quoi ressemble la posture, on est encouragé à observer comment le corps réagit, où se situent les tensions, quelles sensations émergent. Dans cette optique, la progression se fait au fil des semaines, sans obsession de la posture “parfaite”.
Cette révolution du regard possède une dimension profondément politique. Dans une société nourrie d’images stéréotypées, elle incite chacun à créer son propre référentiel esthétique et à remettre en question la notion même de “beau” et de “acceptable”. Le yoga devient alors une voie d’émancipation qui réconcilie le corps et l’esprit, au lieu de les opposer en permanence.
L’impact pour les personnes rondes et grosses
Pour bon nombre de personnes rondes ou grosses, l’accès au yoga a longtemps relevé du défi. Entre la peur d’être jugé, l’absence de matériel adapté et le manque de professeurs formés pour accueillir des morphologies diverses, la barrière était multiple. En voyant Jessamyn Stanley pratiquer des asanas dans un corps qui ne correspond pas aux clichés habituels, un élan d’identification est né : si elle peut le faire, chacun peut y prétendre aussi.
L’impact va bien au-delà de la simple pratique sportive. Il contribue à changer la perception de ce qu’un corps rond peut ou ne peut pas faire. Les élèves se sentent autorisés à occuper l’espace du studio, à tenter des postures, à expérimenter une vie corporelle qui n’est pas dictée par la honte ou la contrainte. Les bénéfices sur l’estime de soi et la confiance en ses possibilités sont immenses.
Une révolution qui dépasse le tapis de yoga
Le travail de Jessamyn Stanley ne se limite pas à transformer le visage du yoga. Il apporte un éclairage précieux sur la place accordée aux différents types de corps dans le domaine du bien-être. L’idée que la santé n’est pas réservée à une catégorie de personnes devient centrale : chacun a le droit de bouger, de respirer, de méditer et de se réapproprier sa physicalité, peu importe les mensurations ou la silhouette.
Ce changement de paradigme ouvre la voie à une réflexion plus large : comment rendre l’ensemble des activités de bien-être, sportives ou de développement personnel, véritablement inclusives ? Comment briser les stéréotypes qui associent la minceur à la réussite ? Jessamyn nous invite à réfléchir à la valeur que nous accordons, individuellement et collectivement, aux apparences.
Comment s’initier à un yoga inclusif ?
Pour celles et ceux qui souhaitent découvrir cette approche, plusieurs voies s’ouvrent :
- Cours en ligne : The Underbelly reste une référence, mais d’autres plateformes émergent avec un souci similaire d’inclusivité.
- Studios physiques : De plus en plus d’enseignant·e·s s’inspirent de Jessamyn et adaptent leurs cours aux différentes morphologies. Il peut être utile de discuter en amont avec le professeur pour vérifier qu’il est ouvert à la diversité corporelle.
- Écoute de soi : Même dans un contexte moins inclusif, on peut adapter soi-même les postures, utiliser des briques, des sangles ou des coussins. Le secret, c’est de rester à l’écoute de son corps, plutôt que de forcer pour atteindre une forme parfaite.
L’essentiel est de se souvenir que le yoga n’exige pas des compétences athlétiques extrêmes ou une apparence spécifique. Il s’agit avant tout d’une pratique spirituelle qui vise l’équilibre entre le corps et l’esprit.
Un message d’espoir et d’émancipation
En popularisant un yoga libéré de ses chaînes esthétiques et élitistes, Jessamyn Stanley transmet un message d’espoir à toutes les personnes qui se sont un jour senties exclues du monde du bien-être. Son parcours démontre que chacun peut trouver sa place et cultiver un rapport sain avec son corps, sans se soumettre aux injonctions dominantes.
Cette démarche ne consiste pas à nier l’importance d’une pratique sérieuse ou d’un enseignement de qualité, mais à rappeler que la légitimité d’un individu à pratiquer le yoga n’a rien à voir avec sa taille, sa couleur de peau ou son orientation sexuelle. Ce qui compte, c’est la sincérité de l’intention et l’envie de progresser à son rythme.
Jessamyn Stanley prouve que lorsqu’on dépasse les frontières rigides des stéréotypes, le yoga redevient ce qu’il a toujours été : un formidable outil de connaissance de soi et de libération, où l’on apprend à respirer, à sentir, à s’accepter et à vivre pleinement dans son corps. C’est dans cet espace de liberté que réside toute la puissance de sa philosophie, une puissance qui ne cesse d’inspirer et de transformer des milliers de personnes à travers le monde.
Source de l'image de couverture : Par Tribeca Disruptive Innovation — Jessamyn Stanley Honoree 2017 at 07:28, cropped, brightened, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=89940047