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Le secteur de la recherche et de l’enseignement supérieur est souvent perçu comme un univers où seules les compétences et la rigueur intellectuelle comptent. Pourtant, la représentation et l’inclusion des femmes grosses y demeurent un véritable défi, tout comme dans le reste de la société. L’apparence physique n’y est certes pas mise en avant, mais les préjugés sur le poids peuvent affecter les trajectoires professionnelles, de même que la reconnaissance des travaux menés. Dans cet article, nous mettons en lumière quelques chercheuses qui ont choisi de faire de leur identité de femme grosse un atout pour interroger les normes et lutter contre la grossophobie, tant dans le domaine académique que dans la société en général.

Invisibilisation et pressions du milieu académique

On trouve peu d’informations sur les femmes scientifiques rondes ou obèses dans les médias, en comparaison d’autres domaines plus exposés comme le cinéma ou la mode. Le monde de la recherche met l’accent sur les publications et la crédibilité scientifique, reléguant souvent la question du physique à un aspect privé. Les professionnelles elles-mêmes peuvent hésiter à se revendiquer comme grosses, de peur de subir plus de discriminations ou de voir leur sérieux mis en doute.
Cependant, certaines personnalités ont choisi de faire de leur vécu un objet de recherche et d’engagement militant. Grâce à leurs travaux, elles contribuent à la fois à la progression du savoir et à une meilleure compréhension des discriminations liées au poids.

Cat Pausé
Source de l'image : By New Zealand Tertiary Education Union - https://www.flickr.com/photos/teu/25265084475/, CC BY-SA 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=116686517

Dr. Cat Pausé : figure incontournable des “Fat Studies”

L’une des grandes figures ayant œuvré pour la reconnaissance des femmes grosses en milieu académique fut Dr. Cat Pausé (1976-2022). Sociologue à l’Université Massey en Nouvelle-Zélande, elle s’est spécialisée dans les « Fat Studies », un champ qui analyse la construction sociale de la “grosseur” et la discrimination dont les personnes grosses sont victimes.
Elle menait des recherches portant notamment sur l’impact psychologique et social de la grossophobie et sur la façon dont les personnes grosses peuvent s’approprier une identité positive. Elle était elle-même grosse, et son vécu personnel nourrissait sa réflexion. Par ailleurs, elle animait Friend of Marilyn, un podcast engagé où elle traitait de sujets relatifs à la diversité corporelle. Si le décès de Cat Pausé a été un choc pour la communauté militante, ses travaux demeurent une ressource précieuse pour comprendre l’importance de l’inclusion dans la recherche.

Charlotte Cooper : le “Fat Activism” théorisé

Charlotte Cooper, chercheuse et militante britannique, est également une référence majeure dans le domaine des études sur la grosseur. Détentrice d’un doctorat, elle a publié Fat Activism: A Radical Social Movement, un livre qui fait figure de référence pour quiconque souhaite comprendre les enjeux du militantisme gros.
Dans ses travaux, elle analyse la manière dont les personnes grosses s’organisent collectivement pour lutter contre la grossophobie et pour défendre leurs droits. Elle-même femme grosse, Charlotte Cooper incarne une approche résolument intersectionnelle : elle lie la question du poids à celles du genre, de la classe sociale et de la santé mentale. Son engagement souligne la nécessité de repenser le rapport au corps dans le milieu universitaire, mais aussi dans la culture populaire et les politiques publiques.

D’autres chercheuses engagées

En élargissant la notion de « sciences » aux sciences humaines et sociales, on découvre plusieurs femmes qui ont intégré leur expérience de la grosseur dans leurs recherches :
Sabrina Strings, professeure de sociologie à l’Université de Californie à Berkeley, a publié Fearing the Black Body: The Racial Origins of Fat Phobia. Même si elle ne s’identifie pas forcément comme « grosse » dans ses interventions, ses analyses sont incontournables pour comprendre l’enchevêtrement entre grossophobie et racisme.
Virgie Tovar, chercheuse et conférencière américaine, est une voix forte du body positive et de la lutte contre la culture des régimes. Elle propose des réflexions sur la grossophobie, la santé à toutes les tailles (Health at Every Size) et la déconstruction des injonctions au régime.
Esther Rothblum, professeure de psychologie à l’Université d’État de San Diego, a mené des travaux sur l’hétéronormativité et la discrimination liée au poids. Son intérêt pour la grossophobie s’inscrit dans la continuité du mouvement Fat Studies et la reconnaissance du bien-être pour tous les corps.

Pourquoi si peu de visibilité ?

La faible médiatisation de ces femmes scientifiques rondes ou obèses s’explique à la fois par la culture académique elle-même et par les stéréotypes dont elles peuvent être victimes. Dans les milieux scientifiques, parler de son corps n’est pas toujours perçu comme légitime. La crainte de voir ses travaux réduits à des considérations personnelles peut également amener certaines à rester discrètes sur leur apparence ou leur engagement.
Comme le soulignent Dr. Cat Pausé et Charlotte Cooper, l’expérience vécue constitue souvent un point d’ancrage essentiel pour mener à bien des recherches critiques, qui vont au-delà des théories abstraites. En se positionnant comme femmes grosses, ces chercheuses affirment la nécessité d’une approche à la fois scientifique et militante pour transformer le regard que la société, y compris universitaire, porte sur le poids.

Un impact qui va au-delà de la recherche

L’héritage de ces universitaires et militantes s’étend au-delà des amphithéâtres et des publications scientifiques. Leurs travaux influencent progressivement les politiques de lutte contre la grossophobie, les débats publics autour de la santé, de la beauté et du bien-être, ainsi que les initiatives en faveur de l’inclusivité dans le monde du travail.
En France, la question de la grosseur et du body positive émerge également, même si elle reste moins institutionnalisée que dans certains pays anglophones. On peut espérer que l’essor de collectifs et d’associations dédiées à la taille plus, en complément des recherches en sociologie ou en psychologie, permette de rendre ces figures plus visibles et de susciter des vocations chez les futures générations de chercheuses.

Source de l'image de couverture : IA Canva

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