On voit fleurir partout le terme « body positive » : réseaux sociaux, campagnes publicitaires, magazines… Ce mouvement, apparu au début des années 2010, milite pour l’acceptation de tous les corps, dans leur diversité. Au départ, il s’agissait d’une réaction à la dictature de la minceur, de la jeunesse et de la perfection imposée par les médias. Désormais, la notion de “body positive” a été largement reprise et parfois instrumentalisée par des marques ou des influenceurs en quête de buzz.
Alors que le body positive était censé promouvoir une meilleure estime de soi et mettre un terme aux discriminations liées à l’apparence, certains estiment qu’il s’est réduit à des slogans inspirants, voire à une injonction supplémentaire : “Aime-toi à tout prix !”. Dans cet article, nous allons explorer les dessous du body positive, comprendre ses limites et surtout découvrir comment dépasser ces simples mots d’ordre pour parvenir à un amour de soi authentique et durable.

Retour aux origines du body positive
Le fat acceptance movement
Le mouvement body positive trouve ses racines dans la « fat acceptance » (ou « fat liberation »), apparue dans les années 1960-1970, surtout aux États-Unis. Les militants de ce mouvement se sont élevés contre la grossophobie (stigmatisation des personnes grosses) et ont réclamé une égalité de traitement dans les domaines du travail, de la santé, etc. Le but était de revendiquer le droit d’exister dans un corps “hors norme” sans subir de discriminations.
L’essor sur les réseaux sociaux
Avec l’avènement des réseaux sociaux, le body positive a gagné en visibilité. Des influenceurs et influenceuses ont commencé à poster des photos de leurs corps, souvent loin des canons esthétiques classiques, accompagnées de hashtags comme #BodyPositive, #LoveYourCurves, etc. Ce courant a su toucher un large public, fatigué de la pression minceur et à la recherche de représentations plus inclusives.
L’idée de se réconcilier avec son image corporelle
Le message initial : la beauté et la valeur d’une personne ne doivent pas être conditionnées par son apparence. Qu’on soit gros, mince, handicapé, tatoué, qu’on ait des vergetures, des cicatrices ou des rides, on a le droit de s’aimer et d’être respecté. À travers le body positive, beaucoup ont trouvé un espace de liberté, voire de célébration de leurs différences physiques.
Quand le body positive devient un slogan dépolitisé
La récupération par les marques
Très vite, les marques de beauté et de mode ont senti le filon. Elles se sont emparées du concept pour vanter des produits, se donner une image « inclusive ». On a vu des publicités avec des mannequins plus-size (souvent encore très normés) ou des campagnes vantant la “confiance en soi”. Paradoxalement, derrière ces affiches, la logique consumériste demeure : vendre des crèmes, des vêtements, etc., sous couvert d’inclusivité.
Résultat : parfois, le message d’empowerment se perd au profit d’une injonction à acheter pour “mieux s’accepter”.
L’injonction à l’amour de soi instantané
« Aime-toi ! » « Aime tes bourrelets ! » « Ton corps est parfait ! » Ces mantras, répétés en boucle, peuvent devenir une forme de pression. Elles laissent entendre qu’il suffirait de “décider” de s’aimer pour résoudre tout problème d’estime de soi. Or, l’histoire personnelle, les traumatismes, les injonctions familiales ou sociétales, la santé mentale… autant de facteurs qui compliquent cette transformation magique.
Beaucoup de personnes se sentent coupables de ne pas parvenir à se célébrer chaque jour ou de continuer à se sentir mal dans leur peau, même si elles adhèrent aux principes body positive.
La diversité n’est pas toujours au rendez-vous
Le body positive, dans sa version popularisée, reste parfois focalisé sur un seul type d’exclusion : la grossophobie. Or, l’acceptation du corps devrait inclure toutes les morphologies, couleurs de peau, handicaps, identités de genre, signes de vieillissement, etc. Il n’est pas rare de voir des influenceuses “curvy” qui se conforment encore à d’autres normes (peau lisse, ventre plat, visage symétrique), laissant de côté les personnes multiplement marginalisées (femmes rondes et noires, personnes en situation de handicap, femmes plus âgées, etc.).

Les limites du « positivisme corporel »
Le culte de la positivité à tout prix
Le “positive washing” consiste à ignorer les émotions négatives ou les difficultés structurelles (discriminations, inégalités, etc.) au nom d’un optimisme forcé. Cela peut conduire à minimiser la réalité des souffrances liées au poids, au handicap ou à la couleur de peau. Se dire “tout est beau, tout est possible” ne suffit pas à faire disparaître la grossophobie institutionnelle ou le racisme dans la mode et la publicité.
Le besoin de soutien psychologique et de thérapie
S’aimer, c’est un chemin, parfois long, qui peut nécessiter un accompagnement (thérapie, coaching, groupes de parole) afin de déconstruire des années de complexe et de dévalorisation. Les slogans ne remplacent pas le travail en profondeur sur l’estime de soi et la guérison des traumatismes éventuels. On ne sort pas d’une culture “anti-gros” ou “anti-vieux” du jour au lendemain par un simple acte de volonté.
Les angles morts : santé, validisme, discrimination systémique
- Santé : La défense de l’acceptation des corps ne doit pas oblitérer la question des soins médicaux de qualité, ni l’accès à l’information sur la santé sexuelle, mentale, etc.
- Validisme : Les personnes en situation de handicap sont souvent invisibilisées, même dans les campagnes “inclusives”.
- Discrimination systémique : Le body positive se concentre parfois trop sur l’individu (son estime de soi, son rapport au miroir) et pas assez sur les luttes sociales contre le sexisme, le racisme, l’homophobie ou la transphobie, qui impactent profondément la manière dont les corps sont perçus et traités.
Vers une approche plus authentique : dépasser les slogans
L’importance de la nuance : le body neutrality
Le concept de “body neutrality” est né pour proposer une alternative au “body positive” devenu trop superficiel. Il suggère que l’on peut aspirer à un rapport plus neutre avec son corps, c’est-à-dire ne plus le détester, mais sans se forcer à le célébrer chaque jour. Cela peut signifier : « Je reconnais mon corps pour ce qu’il fait (me permettre de bouger, respirer, etc.), je ne l’adore pas forcément, mais je suis en paix avec lui la plupart du temps. »
S’attaquer aux causes structurelles
Pour vraiment changer les mentalités, il faut aller au-delà de l’influence individuelle. Soutenir des associations militant contre la grossophobie, le validisme ou le racisme, encourager des législations plus inclusives (anti-discrimination dans l’emploi, dans le secteur médical, etc.), remettre en question les normes dans les médias… Tout cela participe à une transformation collective.
L’amour de soi est aussi plus facile à atteindre quand on évolue dans un environnement où l’on n’est pas constamment rabaissé pour son apparence.
Exprimer ses difficultés : dire “ça ne va pas”
Reconnaître qu’il y a des jours où l’on se sent mal, où l’on ne supporte pas son reflet, fait partie du processus. Plutôt que de se forcer à sourire ou à poster un “self-love” sur Instagram, il peut être plus constructif de partager ses doutes, d’en parler à des amis ou un thérapeute, de chercher du soutien. Le vrai body positive, c’est aussi s’autoriser la vulnérabilité.

Des pistes concrètes pour “vraiment” s’aimer
Se connaître : un travail d’introspection
- Tenir un journal : Y consigner ses ressentis liés au corps, ses émotions, ses progrès.
- Identifier ses pensées automatiques : Quand vous vous surprenez à penser “je suis moche”, questionnez cette croyance : d’où vient-elle ? Est-elle vraiment justifiée ?
- Rappeler ses qualités : Physiques, morales, intellectuelles… Se rappeler que la valeur d’une personne ne se limite pas à son apparence.
Prendre soin de son corps selon ses besoins
- Activités physiques bienveillantes : Trouver un sport ou une activité (danse, yoga, natation, marche) qui vous fait du bien, sans objectif de performance ou de minceur, simplement pour bouger et apprécier ses sensations.
- Se nourrir sans culpabilité : Revenir à l’écoute de soi, s’accorder du plaisir, sans tomber dans les régimes restrictifs ni la surconsommation, en respectant ses signaux de faim et de satiété.
- S’offrir des moments de détente : Massage, bain relaxant, soin de la peau… Il ne s’agit pas de corriger quelque chose, mais de se faire du bien.
S’entourer de personnes et de récits inspirants
- Trier ses réseaux sociaux : Se désabonner des comptes qui vous font sentir mal, suivre des créateurs de contenu qui célèbrent la diversité corporelle de manière honnête.
- Participer à des ateliers ou des groupes de parole : Échanger avec d’autres personnes confrontées aux mêmes difficultés favorise la déculpabilisation et la solidarité.
- Découvrir des livres ou podcasts : Sur l’estime de soi, les témoignages de femmes (et d’hommes) ayant traversé un chemin similaire.
Témoignages : quand l’amour de soi devient concret
- Amandine, 28 ans : « J’ai mis trois ans avant d’oser porter un crop-top. Au début, je me répétais “body positive, je suis belle comme je suis”, mais je ne le croyais pas. Alors j’ai vu une psy pour bosser sur mon histoire familiale : j’avais intégré qu’être grosse était “honteux”. J’ai aussi rejoint un groupe militant contre la grossophobie. Petit à petit, j’ai arrêté de me cacher. Aujourd’hui, ça ne me gêne plus de montrer mon ventre. Parfois j’ai encore des complexes, mais je sais les apaiser. »
- Mounia, 35 ans : « Le body positive sur Instagram m’a aidée au début, parce que je voyais enfin des femmes rondes, noires, qui s’assumaient. Mais j’ai vite été déçue par les collaborations marketing douteuses. Maintenant, je privilégie les comptes plus engagés, qui parlent aussi de racisme, de santé mentale. C’est un tout, on ne peut pas séparer l’image du corps de ces enjeux. »
- Sabrina, 42 ans : « J’aime l’idée du “body neutrality”. Ça m’a libérée de l’obligation de me trouver “magnifique” chaque jour. Certains matins, je me dis juste “ce corps fonctionne, il me sert bien”. Et c’est déjà un grand pas. La bienveillance envers moi-même a remplacé la haine, c’est énorme. Mais je ne me mets plus la pression pour être “hyper positive”. »

Le vrai message du body positive
Malgré ses dérives et ses récupérations, le body positive garde un noyau essentiel : chaque personne mérite l’amour et le respect, quels que soient son apparence, son poids, ses capacités ou son âge. Retrouver cet esprit originel demande de creuser sous la couche de marketing et d’aller vers une approche plus inclusive et plus sincère.
L’enjeu n’est pas de se forcer à “aimer” chaque détail de son corps du jour au lendemain, mais de faire la paix avec soi-même, de reconnaître la valeur intrinsèque de chaque morphologie et d’œuvrer pour une société plus juste, où chacun·e peut exister sans discrimination. Changer son regard sur soi, c’est aussi oser remettre en question les normes qui nous entourent et se demander : à qui profite la culpabilité qu’on éprouve ? Quelles structures profitent de notre mal-être pour nous vendre des produits ?
Le chemin vers l’acceptation de soi est un parcours personnel, ponctué de hauts et de bas. Se confronter à ses blessures, parfois accompagnées de professionnels ou de communautés de soutien, peut demander du temps. Mais c’est une démarche qui, sur le long terme, apporte une vraie libération. Au-delà des hashtags et des slogans simplistes, le “vrai” body positive implique un travail intérieur, un engagement collectif et le droit à l’imperfection. Et c’est précisément cette imperfection assumée qui fait toute la beauté et la richesse de l’humanité.
Source des images : Adobe Firefly